Jeff Cohen (piano)
1 CD Aparté AP 148
Antoine Louis Joseph Gueyrand Fernand Fouant de La Tombelle (1854-1928) était baron, château en Dordogne et salon parisien. Ses mélodies ont connu à l’époque un grand succès. Les ressusciter aujourd’hui changerait-il quelque chose au paysage de la mélodie française ? La réponse est oui.
Un vrai don de mélodiste, dans l’esprit du meilleur Gounod ou du jeune Fauré, dont il partage le goût pour les modulations subtiles, une partie de piano en dialogue intense et original, à la Schumann, voilà qui justifie qu’on redécouvre l’un des fondateurs de la Schola Cantorum, grâce aux travaux récents suscités par le Palazetto Bru Zane.
Si l’on écoute d’abord la dernière des vingt-trois mélodies de ce disque, Pourquoi ?, l’une des plus belles, sobre, concentrée, évasive, on va aller de surprises en surprises. Certes de beaux chants d’amour (Sans toi, Veux-tu les chansons de la plaine ?, Les Papillons), mais aussi une série d’harmonisations originales de folklore (La Pernette, Si le roi m’avait donné), comparables aux Volkslieder arrangés par Brahms, ce qui n’est pas dans les cordes habituelles de la savante musique française.
Les Couplets de Chérubin dans Le Mariage de Figaro, travestissant de manière originale le Malbrough s’en va-t-en guerre voulu par Beaumarchais, répond à un poignant Sonnet de La Boétie, inventant un archaïsme troublant. Souvent des textes de grands poètes (Lamartine, Gautier, Hugo), mais aussi des vers mineurs, que la musique exhausse. Beaucoup de ces pages, sinon toutes, devraient entrer au répertoire des chanteurs et certaines pourraient devenir célèbres.
J’ai déjà dit, à propos des mélodies de Saint-Saëns (moins étonnantes, pourtant) qu’ils ont récemment gravées chez le même éditeur, l’exceptionnel duo formé par Tassis Christoyannis et Jeff Cohen (voir O. M. n° 122 p. 77 de novembre 2016). À peine si le remarquable baryton cède parfois à quelques intentions expressives de textes un peu datés, au lieu de la sobriété si remarquable qui le fait premier aujourd’hui dans ce domaine ; ce n’est que passager.
Dans cet enregistrement de studio, réalisé en janvier 2017, Jeff Cohen tient de bout en bout une partie de piano étonnamment inventive, avec un sens infaillible de l’alliance subtile entre virtuosité et esprit chambriste. C’est à coup sûr leur plus beau disque dans le répertoire oublié qu’ils ont exploré jusqu’ici.
Fernand de La Tombelle, sans rivaliser avec les grands de la mélodie française (Duparc, Fauré, Debussy, Ravel) tient désormais sa place à côté des quelques rares réussites en ce domaine des Gounod, Lalo ou Bizet. Il disait : « Tenterai-je d’apprécier l’ensemble de mes œuvres ? C’est bien difficile, quand il s’agit de soi, d’évaluer entre la complaisance présomptueuse et la modestie simulée ! Néanmoins, je puis, en connaissance de cause, y affirmer mon respect absolu de la pureté de l’écriture et mon souci persistant de la forme. Cela, c’est le métier ; quant aux idées, si j’en ai, je sortirais de mon rôle en en parlant. Sitôt échappées, elle appartiennent au public qui les juge. »
On peut maintenant juger de ses idées et ne plus l’oublier.
RÉMY STRICKER