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Sauf report ou transformation du projet, pour cause de pandémie, Dortmund ressuscitera, le 16 janvier prochain, l’un des titres les plus mystérieux de la production de Camille Saint-Saëns, dont on célèbre, en 2021, le centenaire de la disparition. L’auteur de Samson et Dalila n’a, en effet, écrit que les deux derniers actes de Frédégonde, laissée inachevée à la mort d’Ernest Guiraud, musicien surtout connu pour avoir ajouté des récitatifs chantés à Carmen et complété l’orchestration des Contes d’Hoffmann. On attend avec impatience de savoir à quoi ressemble ce « drame lyrique », créé à l’Opéra de Paris, le 16 décembre 1895. D’autant plus qu’un troisième compositeur y a imprimé sa griffe : Paul Dukas, qui a orchestré, à la demande de Saint-Saëns, les trois premiers actes de Guiraud !

La célébration du centenaire de la disparition de Saint-Saëns offre l’occasion de découvrir Frédégonde, l’un de ses opéras les moins visités depuis sa création, en 1895. Un ouvrage singulier, puisque le livret que Louis Gallet lui avait destiné avait été cédé à un compositeur apprécié en son temps pour deux « opéras-comiques », Madame Turlupin et Piccolino, le ballet Gretna Green et une Suite d’orchestre, mais dont le nom n’est plus guère associé qu’à la confection des récitatifs de Carmen et à l’orchestration des Contes d’Hoffmann : Ernest Guiraud (1837-1892).

Premier prix de Rome, en 1859, natif de La Nouvelle-Orléans où son père, également musicien, avait fait carrière, lié d’étroite amitié avec Bizet et Saint-Saëns, apprécié de Berlioz, Guiraud compta Debussy et Dukas parmi ses élèves au Conservatoire. Quand la mort le surprit, les trois premiers actes de Frédégonde étaient écrits, mais pas orchestrés, les deux derniers restant à composer. Compte tenu de l’importance que Guiraud attachait à ce qu’il considérait comme son grand œuvre, il était hors de question de réduire la partition au silence : « Il en parlait avec amour de sa Brunhilda, témoignera Ernest Reyer, et je n’avais qu’à prononcer ce nom magique pour que sa figure s’épanouît. Alors, oubliant tout, même l’heure tardive, pendant le trajet que nous faisions ensemble jusqu’à la porte de mon logis, arrivaient peu à peu les confidences et les épanchements : quand aurait-il fini cette partition, quels interprètes choisirait-il, quand la jouerait-on ? Et comme il n’allait guère vite en besogne, j’osais, moi, le traiter de paresseux ! »

Par ailleurs, Louis Gallet n’étant pas moins impatient de voir son livret porté à la scène, Saint-Saëns lui écrivit, le 14 mai 1892 : « Guiraud s’est trop souvent dévoué pour moi, pour que je ne saisisse pas l’occasion de lui rendre la pareille autant que je le puis. Je terminerai donc Brunhilda : je demande seulement à ne pas être forcé de travailler vite comme autrefois. » Double devoir, même, car Saint-Saëns et Gallet étaient liés d’une longue et étroite amitié, nourrie d’une rare complicité intellectuelle : « Nous aimions à nous délasser des travaux sérieux par d’innocents enfantillages, et c’était, à propos de tout et de rien, un bombardement réciproque de sonnets fantaisistes, de strophes baroques et de dessins extravagants. »

Écrivain prolifique, parallèlement à une carrière de directeur d’hôpital, puis de haut fonctionnaire de l’Assistance publique, Gallet signa seul, ou en collaboration, une cinquantaine de livrets, d’inspiration originale ou adaptés de romans contemporains (Zola, France, Loti, Dumas fils), de récits historiques ou légendaires, en vers, pour la plupart. Sans être aussi fin poète lyrique que Jules Barbier, aussi dramaturge avisé qu’Henri Meilhac, il collabora notamment avec Bizet (Djamileh), Saint-Saëns (La Princesse jaune, Le Déluge, Étienne Marcel, Proserpine, Ascanio, Déjanire), Massenet (Marie-Magdeleine, Ève, Le Roi de Lahore, Le Cid, Thaïs) ou Gounod (Cinq-Mars), en répondant à leurs aspirations. Ce qui convenait particulièrement à Saint-Saëns qui, dans l’émouvant article nécrologique qu’il consacra à Gallet, notait d’emblée : « Il savait adopter mes idées sans abdiquer sa personnalité ; (…) il ajoutait aux fantaisies de mon imagination des éléments de solidité qui, sans cela, leur auraient manqué. »

Lire la suite dans Opéra Magazine numéro 168

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