Jusqu’au 12 février, la soprano américaine, auréolée de son incroyable triomphe en Marguerite de Valois dans Les Huguenots, à l’automne 2018, est de retour à l’Opéra Bastille pour Rosina dans la reprise d’Il barbiere di Siviglia, mis en scène par Damiano Michieletto. À 36 ans, parvenue à sa parfaite maturité vocale, Lisette Oropesa est désormais prête pour toutes les conquêtes.
Votre biographie mentionne que vous avez couru six marathons… Une représentation d’opéra demande-t-elle autant d’endurance ?
À tous égards ! Et, plus particulièrement, la production d’Il barbiere di Siviglia à l’Opéra Bastille. S’il n’est pas indispensable d’être une marathonienne, il faut certainement être en bonne forme physique pour pouvoir monter et descendre tous ces escaliers… Le décor tourne constamment sur lui-même, et nous devons tous bouger autour, comme des mouches dans un bocal ! Je n’ai pas repris Rosina depuis mes années d’études, mais j’en garde beaucoup de souvenirs. Cette mise en scène de Damiano Michieletto ne compte assurément pas parmi les plus faciles dans lesquelles j’ai chanté, mais elle est très amusante, et je l’apprécie.
Le rôle a été composé dans une tessiture assez grave. Le chantez-vous dans des tonalités plus élevées ?
Personnellement, je chante « Una voce poco fa » dans la tonalité originale, contrairement à « Contro un cor », au deuxième acte, qui est encore plus grave.
Qu’est-ce qu’une voix de soprano apporte à Rosina ?
La jeunesse est habituellement associée à une tessiture élevée, alors qu’une voix plus grave indique un personnage plus mûr. Il en va de même pour les hommes. Dans Il barbiere di Siviglia, trois rôles, Figaro, Bartolo et Basilio, sont tenus par des basses ou des barytons. Si Rosina est interprétée par un contraltino, la seule voix aiguë est celle du ténor qui, dès lors, ressort trop – d’autant qu’Almaviva doit monter très haut, avec une grande agilité. De surcroît, dans les ensembles, il m’a toujours paru étrange que la ligne du dessus revienne à Berta, et pas à la jeune première ! Je comprends qu’un timbre sexy de mezzo soit attrayant, puisque Rossini l’a imaginé ainsi. Mais une voix de soprano peut ajouter beaucoup de variations, ce qui va bien dans cette musique. En réalité, je n’ai pas tant de changements à faire. Il arrive parfois que la tessiture soit vraiment trop basse, mais la plupart du temps, je suis à l’aise. À l’exception du finale, je chante le rôle tel qu’il est écrit. Cela m’aide à trouver mon registre grave. Je n’ai d’ailleurs jamais été un soprano léger. J’ai certains rôles de colorature à mon répertoire, mais ni la Reine de la Nuit (Die Zauberflöte), ni Zerbinetta (Ariadne auf Naxos). Pour moi, les notes les plus aiguës constituent une difficulté. Je suis heureuse de pouvoir développer mon médium de manière naturelle, et ce depuis quelques années, sans pour autant être un vrai soprano lyrique.
Une voix de soprano ne peut-elle pas être sexy ?
La sensualité féminine m’évoque plutôt la profondeur, la richesse, la teinte musquée d’un timbre de mezzo. J’entends Carmen, Dalila… Ma voix n’a pas cette couleur, elle est plus brillante. Un personnage comique me paraît moins sexy qu’impertinent. C’est comme la différence entre un vin corsé et du champagne !
Comment dosez-vous votre énergie pour garder le rythme d’une mise en scène aussi agitée ?
Je suis habituée à bouger sur scène, car c’est ce qui nous est demandé dans la grande majorité des productions actuelles. Je suis à l’aise avec mon corps. Grâce au filage d’hier (1), je me suis rendu compte qu’il était plus facile de courir et de chanter en même temps que de s’arrêter pour chanter, en étant essoufflée d’avoir couru… Le plus fatigant, comme je l’ai dit, est de monter et descendre les escaliers. D’autant que ma Rosina porte de grosses bottines, parce que c’est une « dure », qui aime la moto et la musique rock. De petites ballerines me faciliteraient la vie !
Revenir à Rosina pour la première fois depuis vos études, dans une salle aussi vaste que la Bastille, est-il un défi ?
La musique de Rossini est trop véloce, légère et étincelante, pour être chantée en force. Si j’alourdis ma voix dans « Una voce poco fa », je pourrai peut-être arriver au bout de la cavatine, mais je serai incapable d’émettre les centaines de notes de la cabalette. Dans une grande salle, nous avons tous tendance à vouloir remplir l’espace. C’est donc un défi. Heureusement, le chef, Carlo Montanaro, est très à l’écoute des chanteurs ; il nous suit, respire avec nous. L’orchestre est brillant : les musiciens savent qu’ils jouent du Rossini, et pas du Wagner. Et puis, une voix bien émise se fait entendre quelles que soient les dimensions du théâtre.