À l’heure où l’égalité entre les sexes s’impose comme l’un des enjeux majeurs de l’évolution de nos sociétés occidentales, l’Opéra National de Finlande offre le remarquable exemple d’un théâtre dont la direction générale, ainsi que les directions artistiques de l’opéra et de la danse, sont assurées par des femmes. L’événement de la saison 2019-2020 est une nouvelle production de Der Ring des Nibelungen, dont le lever de rideau a eu lieu le 30 août dernier, avec Das Rheingold. Die Walküre suivra en mai 2020, avant Siegfried et Götterdämmerung, en 2020-2021. Aux commandes, une équipe finlandaise, avec Esa-Pekka Salonen à la baguette et… une femme à la mise en scène, Anna Kelo.
Aussi curieux que cela paraisse pour un pays depuis longtemps fournisseur de grands chanteurs et chanteuses (songeons à Kim Borg, Martti Talvela, Matti Salminen, Jorma Hynninen, Karita Mattila ou Soile Isokoski), le lien entre la Finlande et l’opéra est assez récent. Au XVIIIe siècle, alors que le pays est sous domination suédoise, les représentations sont rares et c’est au XIXe, quand il devient grand-duché autonome sous la souveraineté russe, que plusieurs compagnies étrangères commencent à se produire régulièrement à Helsinki. En 1911, la célèbre cantatrice finlandaise Aino Ackté (1876-1944), étoile de l’Opéra de Paris entre 1897 et 1903, et Edvard Fazer, créent la compagnie de l’Opéra de Finlande, inaugurée le 20 octobre avec Pagliacci, qui deviendra plus tard l’Opéra National de Finlande.
Après l’indépendance du pays, en 1917, Helsinki récupère le Théâtre Alexandre (Alexander Theatre) – jusqu’alors propriété russe – et la compagnie peut y jouer ses spectacles. En 1922 est fondé le Ballet National de Finlande, ce qui conduit l’Opéra à posséder un corps de ballet classique et une école de danse. Pendant plus de soixante ans, la plupart des représentations d’opéra et de ballet se donnent dans le petit théâtre, avec en projet la construction d’un bâtiment beaucoup plus grand, constamment remise en raison de l’histoire politique compliquée du pays.
En 1977 est enfin décidée la construction d’un nouveau théâtre (Opera House), confiée à l’équipe d’architectes Hyvämäki-Karhunen-Parkkinen. Utilisant des matériaux aussi divers que la céramique, la pierre naturelle, le marbre de Carrare et le hêtre pourpre, le bâtiment est situé dans le quartier de Taka-Töölö, au bord de la baie de Töölö. Inauguré en 1993, il compte deux auditoriums, dont une salle principale (Main Stage) de 1 350 places.
Le FNOB (Finnish National Opera and Ballet) est une maison d’opéra et de ballet de taille moyenne, regroupant 530 employés permanents, un orchestre de 111 musiciens, une trentaine de chanteurs solistes – auxquels s’ajoutent de nombreux chanteurs invités – , un chœur de 50 membres et un ballet de 78 danseurs. On y emploie aussi toutes sortes d’artisans et de techniciens dans un vaste éventail de spécialités, allant de la cordonnerie à la métallurgie.
Les subventions viennent en grande partie de fonds publics. En 2018, 53 % du budget provenaient de la loterie nationale distribuée par le ministère de l’Éducation et de la Culture, 17 % sous la forme de rentes d’État, 1 % de l’École de Ballet d’État, 7 % de la Ville d’Helsinki et de l’Agglomération du Grand Helsinki (Espoo, Vantaa, Kauniainen), et 22 % de la vente de billets, ainsi que des partenaires. En tout, les revenus de la maison ont couvert 27 % des frais de fonctionnement, pour un total de 72 millions d’euros de recettes contre 71 millions d’euros de coûts.
Une gestion parfaitement équilibrée, et ce malgré la récession qui touche la Finlande, comme le reste du monde. Mais, ainsi que l’explique Gita Kadambi, la dynamique directrice générale du FNOB : « Il faut savoir aussi prendre des leçons des États-Unis concernant le financement privé, par du sponsoring, ce qui n’est absolument pas dans la culture finlandaise. C’est le seul moyen pour notre maison de survivre aux nombreux remaniements gouvernementaux et ministériels. »
Une autre particularité remarquable du FNOB est d’avoir uniquement des femmes aux postes dirigeants, de la directrice générale aux directrices artistiques de l’opéra (Lilli Paasikivi) et du ballet (Madeleine Onne), en passant par la directrice de la communication (Liisa Riekki). Un modèle bien peu répandu dans l’univers lyrique, généralement assez machiste, mais qui n’a rien de surprenant dans une société finlandaise depuis longtemps très égalitaire dans ses rapports hommes/femmes et soucieuse de parité.