Le printemps 2018 est placé sous le signe des raretés du répertoire français pour le jeune ténor normand, devant lequel s’ouvrent désormais les portes d’une grande carrière internationale. À la scène, jusqu’au 5 avril, il reprend, à l’Opéra-Comique, la production du Domino noir d’Auber, créée à Liège, le 23 février. En récital, il se produira au Louvre, le 12 avril, dans un programme autour de l’orientalisme, puis au musée de l’Armée, le 4 juin, dans des musiques liées aux campagnes napoléoniennes. Au disque, enfin, on attend avec une vive impatience la première intégrale de La Reine de Chypre d’Halévy, annoncée dans les semaines qui viennent aux éditions du Palazzetto Bru Zane, dans laquelle Cyrille Dubois incarne le rôle central de Gérard de Coucy.
Avant d’accepter d’incarner Horace dans Le Domino noir, coproduit par l’Opéra Royal de Wallonie et l’Opéra-Comique (voir nos pages « Comptes rendus » dans ce numéro), que saviez-vous d’Auber ?
Très franchement, pas grand-chose. Je pouvais le situer chronologiquement dans l’histoire de la musique, je connaissais quelques jalons de sa carrière, et comme tout le monde, j’avais entendu l’anecdote selon laquelle le duo « Amour sacré de la patrie », tiré de La Muette de Portici, avait suscité un début de soulèvement qui avait amené la Révolution belge, mais rien de plus. En revanche, ce qui m’a tout de suite attiré vers ce projet, c’est le fait de retrouver ce répertoire d’« opéra-comique » qui m’avait tant séduit lors des représentations de Lakmé à Saint-Étienne, en novembre 2013, et qu’on ne m’avait plus proposé depuis Les Pêcheurs de perles en concert au Théâtre des Champs-Élysées, en mai 2017, avec Julie Fuchs, Florian Sempey et Luc Bertin-Hugault, sous la direction d’Alexandre Bloch. Il constitue le cœur de mon répertoire français et il correspond à la couleur de ma voix.
Qu’avez-vous pensé en lisant la partition du Domino noir ?
J’ai vraiment aimé aborder cette musique, dont je m’étais fait une idée à travers quelques écrits de Berlioz. Elle est légère, joyeuse, et obéit à des codes qu’utiliseront, plus tard, des compositeurs comme Offenbach. C’est une belle musique qui ne se prend pas au sérieux, et elle est bien plus tournée vers l’avenir que ce qu’on en a dit.
Comment avez-vous construit votre personnage ?
Je me suis attaché à ne pas le faire trop lisse. Surtout par rapport à Angèle qui, elle, est dotée d’une forte personnalité, et dont le pendant masculin ne doit pas se contenter d’être un jeune amoureux stupide. Avec Valérie Lesort et Christian Hecq, les metteurs en scène, nous avons tenté de rendre Horace touchant ; il est parfois drôle, parfois colérique, les quiproquos auxquels il se trouve mêlé ne sont pas loin de l’amener au bord de la folie. Il doit exister face à une héroïne que l’intrigue oblige à se travestir, et comme vous le savez, le travestissement est un des procédés théâtraux qui marchent le mieux.
Qu’est-ce que ces deux metteurs en scène – dont l’un, Christian Hecq, est aussi sociétaire de la Comédie-Française – vous ont apporté ?
Ils sont arrivés avec leur univers sans savoir à quels interprètes ils allaient avoir affaire. Ils ont été d’autant plus vite rassurés que toute l’équipe avait envie de jouer la comédie et n’était pas insensible à leur désir de faire bouger la déclamation lyrique. Ils nous ont sans doute poussés un peu plus loin dans le jeu que d’autres l’auraient fait, mais ils nous ont aussi enseigné des techniques qui, en ce qui me concerne, me serviront chaque fois que je serai distribué dans ce répertoire : tenir compte du public et de ses réactions, jouer réellement la comédie dans les nombreux passages parlés, de manière à ne pas créer de discontinuité avec la musique.
Votre aisance en scène est remarquable ; avez-vous suivi une formation théâtrale ?
Non, pas la moindre, mais le théâtre est venu très tôt dans ma formation artistique à la Maîtrise de Caen ; il m’est arrivé de participer à des productions lyriques tout petit, dans Il barbiere di Siviglia et aussi dans le chœur d’enfants de Pagliacci.
De toute évidence, Auber vise à plaire aux spectateurs et à les divertir ; que pensez-vous de cette attitude ?
Un ouvrage comme Le Domino noir est effectivement un divertissement, mais est-ce un crime ? L’opéra peut viser autre chose, mais certaines maisons ont tendance à oublier qu’il peut être également cela. Pourquoi infliger au public le supplice de passer trois heures à se demander ce qu’il est en train de voir ? Une mise en scène doit avoir un solide contenu dramatique, elle peut amener à réfléchir, mais pourquoi nier que cela fait parfois du bien de rechercher une forme de légèreté, surtout par les temps qui courent ? Je n’ai rien contre le fait de donner une vision plus rafraîchissante d’œuvres qui s’y prêtent. En décembre dernier, j’ai chanté La Cenerentola à Lyon ; la mise en scène de Stefan Herheim foisonnait d’idées, et les spectateurs y adhéraient complètement.