Le directeur musical de l’Opéra National de Paris est sur tous les fronts, en ce premier trimestre 2017. À l’Opéra Bastille, d’abord, avec Lohengrin dans la production de la Scala de Milan, le 18 janvier, puis la Messe en si de Bach, le 14 février. Au Palais Garnier, ensuite, avec une nouvelle mise en scène de Cosi fan tutte, le 26 janvier, puis Béatrice et Bénédict, le 24 mars. Une activité qui laisse peu de temps au chef suisse pour diriger ailleurs de l’opéra, même s’il sera au pupitre d’une nouvelle production de Die Meistersinger von Nürnberg à Bayreuth, le 25 juillet prochain.
Vous venez de diriger successivement, à l’Opéra Bastille, Samson et Dalila et Les Contes d’Hoffmann. Quels contacts aviez-vous étant jeune avec le répertoire français ?
À vrai dire, j’en avais peu. Adolescent, je vivais pour Mozart, Richard Strauss, Wagner. Mon père, Armin Jordan, dirigeait fréquemment des œuvres françaises avec son Orchestre de la Suisse Romande, et d’autres aussi ; il avait notamment enregistré une intégrale de Pelléas et Mélisande avec l’Orchestre National de l’Opéra de Monte-Carlo, mais cette musique me paraissait peu mélodique, et j’avais du mal à l’assimiler. Lorsque je lui faisais part de mes impressions, mon père me répondait : « Tu comprendras plus tard. » Il avait raison !
Vous a-t-il guidé dans l’approche de ce répertoire ?
Il ne m’a pas donné de conseils au sens strict ; il m’a plutôt révélé le sens de cette musique, la nature de son harmonie, m’a montré, par exemple, les détails d’une orchestration. Il me disait : « Écoute ce que fait ce chef dans cette page… »
Comment avez-vous été amené à modifier votre opinion ?
Lorsque j’ai dirigé Carmen pour la première fois, les choses ont changé. J’avais beaucoup écouté l’enregistrement de Pelléas, mais aussi le Trio de Ravel, les mélodies de Fauré, de la musique de chambre ; je me suis rendu compte combien, inconsciemment, ces partitions m’avaient influencé, j’ai compris l’importance du son, de sa couleur, de sa finesse. Cela dit, au début de ma carrière de chef, j’évitais la musique française : je travaillais beaucoup en Allemagne, et à cause de mon prénom, on croyait que j’étais français ! Petit à petit, j’ai élargi mon répertoire : Les Contes d’Hoffmann à Ulm, Werther à Vienne, Carmen, encore, au Festival de Glyndebourne… Je me suis pris à aimer ces opéras de plus en plus. Mais je ne touchais pas aux ouvrages symphoniques.
Par peur des comparaisons ?
Oui, et pas seulement avec mon père ! Avec Charles Dutoit, par exemple, ou même Simon Rattle. À Paris, j’ai fini par diriger La Mer de Debussy, puis mon premier Pelléas, pour une reprise de la production mise en scène par Robert Wilson… Travailler ces partitions avec un instrument de première classe, tel l’Orchestre de l’Opéra National de Paris, a été un immense bonheur.
Quelles sont, pour vous, les caractéristiques du style français ?
La finesse et la transparence. Tout commence par la langue, moins ouverte que l’italienne, moins rude dans le jeu des consonnes que l’allemande. Les références, à mon avis, ce sont Debussy et Ravel ; tout ce qui les précède se dirige vers cet impressionnisme, tout ce qui les suit en découle. À l’opéra, les musiques de Gounod, Massenet et Saint-Saëns vont dans ce sens, et Pelléas est un sommet. Le traitement de la prosodie est aussi quelque chose de très français, il n’y a pas d’équivalence dans le chant italien ou allemand. En France, le rapport de la mélodie au texte est toujours élégant, et même, quelquefois, d’une élégance tendant à passer avant le contenu.