Après Zampa, en 2008, Jérôme Deschamps, le directeur de l’Opéra-Comique, a l’excellente idée d’afficher, à partir du 23 mars, l’autre grand succès de Louis-Ferdinand Hérold. Une manière de renouer avec les grandes heures de la maison, puisque Le Pré aux Clercs y a vu le jour, le 15 décembre 1832 – alors que la troupe avait pris ses quartiers Salle des Nouveautés –, avant d’y être régulièrement joué jusqu’à la fin du XIXe siècle, puis de manière éminemment sporadique au XXe,la dernière représentation in loco (la 1608e quand même !) remontant à 1949.
Jusqu’à la publication chez Symétrie, en 2009, d’Hérold en Italie (un passionnant recueil de lettres et d’articles de fond, couvrant essentiellement les années d’apprentissage de Louis-Ferdinand Hérold), la brève biographie d’Arthur Pougin, parue en 1906, restait la principale source d’information. Précieuse, donc, à cela près que la plume de l’auteur s’y montre parfois d’une légèreté coupable. Ainsi lit-on, sur le livret du Pré aux Clercs, ces affirmations maintes fois reproduites : « On sait que Planard avait pris le sujet du Pré aux Clercs dans le livre si curieux et si vivant publié par Mérimée [en 1829] sous le titre de Chronique du temps de Charles IX (…) Certaines scènes, à la vérité, sont absolument calquées sur les épisodes du livre de Mérimée, et n’ont pas donné grand mal à Planard [qui] a su communiquer à son livret la couleur que Mérimée avait si vivement imprimée à sa Chronique. »
On aime à croire que Pougin, à 70 ans passés, n’avait qu’un très vague souvenir du roman car, en dehors des noms de Mergy et Comminges, et de leur duel, on chercherait en vain un épisode commun aux deux ouvrages. Quand le rideau se lève, après l’Ouverture, on ne risque pas d’y voir le cabaret de Claude Giraut, mis à sac par une horde de reîtres (mercenaires protestants), puis Bernard de Mergy faire la cour à une bohémienne avec laquelle il passera la nuit pour se retrouver, au matin, délesté de son cheval et de ses écus d’or, sauf deux généreusement laissés par la coquine. Mérimée nous apprend qu’il aura plus de chance avec l’altière comtesse de Turgis, conquise certes au prix d’un duel mortel avec Comminges, mais sans mariage préalable… Le reste à l’avenant : dans le roman, point d’Isabelle, point de Nicette ni de Cantarelli, et foin des ruses galantes de la reine Margot !
En vérité, Le Pré aux Clercs doit autant à la Chronique de Mérimée qu’Ariane et Barbe-Bleue aux Contes de Perrault. Sans doute, aussi, Pougin n’était-il pas allé revoir depuis longtemps à l’Opéra-Comique (où elle avait quitté l’affiche en 1898) « cette œuvre si exquise, si variée, à laquelle on ne peut reprocher ni un écart ni une faiblesse, et où la grâce et la gaîté d’une part, l’élégance et le sentiment poétique de l’autre, se mêlent et contrastent d’une façon si heureuse avec les inspirations les plus vigoureuses, parfois les plus pathétiques et les plus poignantes, le tout en un style irréprochable, dans la langue la plus pure et la plus châtiée voire la plus savante, sans que jamais elle cesse d’être vraiment et essentiellement musicale ».
Une œuvre attachante de par ses inégalités mêmes
Difficile, un siècle plus tard, d’être saisi par un enthousiasme aussi catégorique à l’égard d’une œuvre attachante de par ses inégalités mêmes, mais où l’on voit davantage une réussite en son genre qu’un modèle. Pour les cousettes de Louise (dont l’action se situe au début des années 1880), elle sentait déjà le vieux répertoire : « Moi, j’ai vu l’Pré aux Clercs et Mignon », dit Irma – « Moi, j’ai vu Manon », clame Camille. « C’est beau ? » – « Très beau, surtout quand ell’ meurt » ! La reprise du Pré aux Clercs à l’Opéra-Comique, en 1932, célébrant le centenaire de la création, n’a pas suffi à convaincre de l’urgence d’un retour définitif au répertoire. Mais une partition qui a joui durablement d’une telle popularité ne sort pas si vite des mémoires et il semblerait que Poulenc se soit souvenu, dans La Belle Jeunesse (septième des Chansons gaillardes, 1926), de l’élan du chœur qui ouvre l’acte III (« Que j’aime ces ombrages »).
Plus sérieusement, dans le chapitre de l’Histoire de la musique de la Pléiade (tome II, 1963), traitant de « L’évolution de l’harmonie », Roland-Manuel a réservé une place de choix à la couleur « modale », annonciatrice de Gounod, Chabrier ou Fauré, de deux passages : « Les rendez-vous de noble compagnie » et « Ah ! que je suis lasse de tant de plaisir ». Cette couleur feuille morte était intentionnelle de la part d’Hérold qui, pour mieux transporter l’auditoire dans l’époque de l’action, avait déjà introduit, dans l’Ouverture, des entrées de fugue telles qu’on n’en entendait guère à l’Opéra-Comique. Ce style rigoureux, opposé à des motifs plus frivoles, pouvait symboliser, en outre, le contraste entre protestants et catholiques même si, à la différence des Huguenots (créés quatre ans plus tard), la question religieuse reste à l’arrière-plan.
- Lire la suite dans Opéra Magazine numéro 104