Le 5 novembre, avant Lille, Genève, Paris et Liège, l’Opéra accueille le nouvel opus lyrique du compositeur français, écrit « pour les enfants et les adultes de toutes les cultures », sur un livret tiré du fameux Petit Prince de Saint-Exupéry.
Pour votre quatrième grand ouvrage lyrique, vous vous êtes tourné vers Le Petit Prince (1943), un livre qui a connu un immense succès et a fait la gloire d’Antoine de Saint-Exupéry. Comment vous êtes-vous emparé de ce conte célèbre ?
Composer à partir d’une œuvre que tout le monde connaît par cœur crée une complicité entre le public et la scène. J’ai toujours entretenu une relation forte avec la textualité. Je me suis donc laissé infuser par ce texte qui, au-delà de la fable, porte en lui une grande violence, en abordant des questions essentielles : celles de la grâce, de l’adresse aux enfants, celles de la fragilité du lien et de son caractère éphémère, de la précarité de la vie, de l’accès à la vérité et à la lucidité du cœur. Ces thématiques fondamentales confèrent au récit sa structure interne. Le message radical du Petit Prince m’a entraîné vers des contrées de l’ordre de cette radicalité. Ce conte merveilleux pour enfants s’adresse à l’humanité tout entière, il dégage une vertu d’universalité qui exprime la richesse de la quête des valeurs et du sens. Les adultes peuvent reconnaître, à travers les péripéties de cette histoire symbolique, les échos d’une Europe écrasée par le monstre nazi, une période de l’angoisse la plus déchirante, celle du drame politique des systèmes totalitaires. L’aventure du Petit Prince qui quitte sa planète et la Rose, son amour, traverse les espaces, croise dans son voyage des personnages étranges, pour atterrir sur la Terre en échouant dans un désert, est tout à fait inédite. Son apparition reste énigmatique, tout comme sa disparition. Le face-à-face avec l’Aviateur, le mystère du mouton, la menace des baobabs, la rencontre avec le dangereux Serpent, puis avec le Renard qu’il faut apprivoiser et dont l’enseignement est source de sagesse, sont autant de pages empreintes d’une lumière limpide, d’une poésie à la fois sensible et grave, qui libèrent des couleurs mozartiennes. J’ai voulu faire chanter cette adresse faite par Saint-Exupéry.
Comment avez-vous traité le déroulement de la parole singulière de l’auteur, qui allie littérature et dessins pour donner à voir les images rêveuses que suggèrent les mots ?
Ces deux formes d’expression communiquent entre elles, pour former une unité totale et complémentaire très suggestive. Mon livret est une adaptation respectueuse de la pureté mélodieuse du Petit Prince, dont la structure s’appuie sur des dialogues présentant déjà une forme de théâtralité. Néanmoins, j’ai opéré quelques ajustements, comme l’exige la scène lyrique : par exemple, le passage de l’imparfait au présent, qui actualise le récit, ou bien la transformation du narrateur en acteur. L’opéra a dû trouver sa forme autonome. J’ai cherché à donner une vie musicale au message d’espoir de Saint-Exupéry, une méditation lucide sur l’amitié, la fidélité, la douleur, la mémoire, le temps et la mort.
Comment avez-vous fait « chanter » cette fable ? À quel matériel vocal et instrumental avez-vous fait appel ?
Cette expérience a été l’occasion d’une confrontation passionnante avec une œuvre multiple, qui offre différents niveaux de lecture. J’espère emmener le spectateur vers ces espaces infinis et mystérieux d’où vient le surnaturel Petit Prince, vers l’univers imaginaire de l’enfance ponctué de comptines, de danses, rondes, berceuses et chansons populaires. Renforcer le lien entre la langue et le chant a été mon objectif, ma démarche de compositeur d’opéra. J’ai été très attentif à l’harmonisation de la relation musicale entre la syntaxe et le sens de la langue. J’ai exigé que le texte soit prononcé avec une accentuation proche de la rhétorique des années 1930-1940. La variété polyphonique des voix – soprano colorature pour le Petit Prince, mezzo-soprano pour la Rose, contre-ténor pour le Renard et le Serpent, ténor pour l’Aviateur, baryton ou basse pour les rôles plus épisodiques – nourrit la diversité et la densité du chant lyrique. L’instrumentation est au service de l’action dramaturgique. La partition orchestrale a été augmentée d’électronique et d’informatique musicale. Ce recours à la technologie est une « mise en scène » du son, qui renouvelle la dimension des timbres de l’instrument. Tout le dispositif musical a été pensé et conçu pour participer à l’intensité théâtrale de l’opéra.