Fondé en décembre 1714, le célèbre théâtre parisien fête son 300e anniversaire, cette saison. Pour l’occasion, un comité d’honneur a été constitué, présidé par l’ancienne ministre, qui n’a jamais fait mystère de son amour pour l’art lyrique.
Comment avez-vous été choisie pour présider le comité d’honneur du Tricentenaire de l’Opéra-Comique ?
Jérôme Deschamps souhaitait mettre à sa tête une personnalité connue pour son amour inconditionnel de l’opéra, ce qui est mon cas. Quand on est passionné, on a envie de partager cette passion, de découvrir et de faire découvrir. Ma prédilection commence, d’ailleurs, à être bien connue au-delà du cercle des amateurs d’art lyrique ; on m’en parle souvent, il arrive même qu’on me demande de chanter, comme cela s’est produit récemment lors d’une émission sur Europe 1. J’ai fredonné quelques mesures du « Se vuol ballare » des Nozze di Figaro et un professeur de chant auquel on demandait son avis, et à qui l’on n’avait pas dit qui était l’interprète qu’il venait d’entendre, a affirmé qu’il s’agissait d’un baryton doté d’une jolie voix mais qui n’était pas du tout celle de Figaro !
Comment avez-vous accueilli la demande de l’Opéra-Comique ?
J’ai été ravie ! Favart est une salle qui parle beaucoup à mon cœur, comme à celui de bon nombre de Parisiens qui entretiennent avec elle une sorte de familiarité touchante. Elle n’a rien d’impressionnant, c’est vrai, contrairement à certaines autres qui ressemblent à des cathédrales. C’est un théâtre qui renvoie une image accessible de l’opéra, même pour des gens ne connaissant pas ce genre musical. Pour faire ses premières armes, elle est idéale ; lorsqu’on l’a fréquentée, on peut ensuite passer facilement au Palais Garnier ou à l’Opéra Bastille. Elle a été conçue pour qu’on y joue, avant tout, des œuvres françaises ; or, qu’y a-t-il de mieux, pour quelqu’un qui ne connaît rien à l’art lyrique, que de commencer par les « opéras-comiques » français ? Au moins, là, on n’est pas obligé de se concentrer sur les surtitres !
Quelle sera la tâche de ce comité d’honneur ?
Il aura, entre autres rôles, celui de permettre le financement des opérations prévues dans le cadre du Tricentenaire et de la saison 2014-2015, autrement dit de trouver des mécènes, et de porter à la connaissance de son réseau d’influence ce qu’est ce théâtre et ce qu’on peut y trouver. Il existe plusieurs niveaux de mécénat, celui des Grands Mécènes, celui des Mécènes d’honneur. Nous avons eu l’idée d’une formule particulièrement originale, une opération intitulée « 300 ans-300 parrains », pour réunir des amoureux de Favart, dont les dons contribueront à développer le site d’archives de la maison et à le rendre accessible au plus grand nombre ; il leur sera remis une affiche éditée pour l’occasion, sur laquelle figureront leurs noms.
Sont prévues également des manifestations plus spécifiques.
Effectivement. Le Petit Palais accueillera, du 18 mars au 28 juin 2015, l’exposition « Carmen et Mélisande, drames à -l’Opéra-Comique ». Le Centre National du Costume de Scène de Moulins abritera lui aussi une exposition, « L’Opéra-Comique et ses trésors », du 7 février au 25 mai. Un numéro spécial de Connaissance des Arts est prévu, qui devrait sortir avant la fin de l’automne. D’autre part, la chaîne Arte, avec laquelle nous avons établi un partenariat, diffusera, le 25 décembre, l’enregistrement du grand gala d’ouverture du 13 novembre prochain, soirée prestigieuse à laquelle participeront Anna Caterina Antonacci, Sabine Devieilhe, Julie Fuchs, Patricia Petibon, Frédéric Antoun, Stéphane Degout, Laurent Alvaro, sous la direction musicale de François-Xavier Roth, dans une mise en scène de Michel Fau.
Que pensez-vous de la programmation de cette saison ?
Elle me réjouit ! C’est un bonheur de retrouver de grandes opérettes classiques, comme Les Mousquetaires au couvent, Ciboulette… et cette Chauve-Souris qui nous promet de belles fêtes de fin d’année. Le Pré-aux-Clercs d’Hérold n’avait plus été joué sur cette scène depuis des décennies, alors que c’est un titre-phare du répertoire. Les Fêtes vénitiennes de Campra sont là pour apporter la note baroque indispensable, tandis que Au monde de Philippe Boesmans, coproduction avec la Monnaie de Bruxelles, et Les Contes de la lune vague après la pluie de Xavier Dayer, d’après le merveilleux film de Kenji Mizoguchi – qui aura été créé juste avant à l’Opéra de Rouen –, prouveront que Favart maintient la tradition de nouveauté qui est la sienne.
Vous approuvez donc le travail accompli par Jérôme Deschamps depuis 2007.
Jérôme a su concilier deux exigences : respecter l’esprit de la maison, un lieu pas comme les autres, et le renouveler. Cette salle est légendaire ; en langage d’aujourd’hui, on pourrait dire qu’elle correspond à un concept, et l’on est excité par ce qui s’y passe. Il n’y a rien d’étonnant à ce que le public y soit revenu.
Cette salle a-t-elle compté dans votre vie ?
Elle m’a effectivement marquée. Mes parents n’étaient pas amateurs d’opéra mais, pour les fêtes, ma mère nous emmenait à Favart, assister à des spectacles que l’on pouvait apprécier en famille. Nous ne serions pas allés au Palais Garnier, qui nous paraissait beaucoup plus solennel, ne serait-ce que par l’aspect du monument.
Quel est l’événement qui a déclenché votre amour de l’art lyrique ?
Le choc s’est produit lorsque je suis allée aux Arènes de Vérone, où j’ai vu Aida et La Gioconda. Ce fut très violent, un véritable coup de foudre amoureux, mais je serais incapable de vous décrire pourquoi et comment. Toutes les conditions étaient réunies. Il y avait d’abord l’atmosphère, la communion semblant unir chaque membre de l’assistance, ces petites bougies qui s’allumaient et illuminaient la nuit, les applaudissements de milliers de personnes saluant les chanteurs. Et puis le spectacle, les centaines de figurants, le Nil coulant au milieu du plateau, les décors monumentaux… On ne donne pas dans le minimalisme, là-bas ! L’impression générale était celle de participer à une gigantesque fête artistique et populaire. Découvrir l’art lyrique par Aida, que peut-on rêver de mieux ? Pour un néophyte, c’est le rêve, et cela peut lui donner le goût de l’opéra, davantage que des œuvres difficiles comme Wozzeck ou Die Frau ohne Schatten, qui ne se laissent pas aborder aisément, ou des mises en scène impossibles, dans lesquelles le Duc de Mantoue viole Gilda dans une poubelle. Une œuvre très chantante comme Aida, dont les airs sont familiers à tous, rien de tel pour une initiation ! Vérone est un lieu merveilleux, et ce type de festival, comme les Chorégies d’Orange en France, fait beaucoup pour populariser l’opéra. On y sent la ferveur du public.
Que pensez-vous de l’actuel retour vers le XIXe siècle, qui remet en lumière des titres tombés dans un oubli souvent injuste ?
Il était nécessaire. Auber, Hérold, font partie du patrimoine musical français et il était utile de les faire revivre. Ce côté « défrichage » est intéressant ; cela dit, on ne doit pas cultiver la rareté pour la rareté, et il ne faudrait pas que Favart devienne un « laboratoire de la résurrection ».
Une fois que vous avez aimé l’opéra, comment votre goût s’est-il développé ?
Il s’est structuré au long de trois décennies : d’abord avec Verdi et l’opéra italien, ensuite avec Mozart, et enfin avec Wagner. J’en ai cultivé les fruits. Maintenant, j’ai soif de découvertes, j’adore John Adams, j’ai complètement adhéré à Written on Skin de George Benjamin. J’espère faire preuve d’esprit d’ouverture. Ce qui me déplaît, en revanche, c’est ce qui est mal mis en scène, mal joué et chanté. Mais je ne siffle jamais, je suis même gênée, voire indignée, par ces huées, je me dis : « Qui êtes-vous, enfants barbares, faisant peu de cas de l’investissement physique et moral que représente le fait de monter un spectacle ? » Pour moi, deux exploits physiques mettent en jeu l’esprit, le cœur et le corps : l’alpinisme et l’opéra. Je comprends que l’on n’applaudisse pas, mais je déteste que l’on proteste violemment.
Allez-vous souvent à l’opéra ?
Environ une fois par semaine. L’été, je ne manque ni Salzbourg, ni Bayreuth, ni Orange, ni Aix-en-Provence. Et, dans l’année, il m’arrive de faire un saut à New York, Londres, Madrid ou Milan.
Mais écoutez-vous autre chose que de l’opéra ?
Bien sûr. Je co-anime, sur une chaîne télévisée, un talk-show dans lequel nous recevons des gens pratiquant des genres musicaux, a priori, éloignés des miens. J’ai ainsi découvert des rappeurs formidables, ainsi que Stromae, que j’adore. Toutes les musiques se nourrissant les unes des autres, il faut tout écouter avec bienveillance. L’un des problèmes de l’opéra est que les chanteurs déclenchent parfois, chez ceux qui les écoutent, des comportements addictifs.
Quelle est la production qui vous a particulièrement marquée, cette année ?
Sans hésitation, le Ring auquel j’ai assisté à Bayreuth, surtout à cause de la direction de Kirill Petrenko, de bout en bout captivante, et si bien accordée à la mise en scène plutôt étrange de Frank Castorf.
Quel regard portez-vous sur l’avenir de l’opéra ?
Puis-je dire que je suis raisonnablement désespérée ? Les conditions économiques sont dures, les financements publics plus que limités, le mécénat ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval, et l’opéra coûte très cher. On peut se demander s’il ne faudrait pas faire revivre les troupes. Le mécénat a aidé -l’Opéra-Comique à créer son Académie, permettant aux jeunes chanteurs de se former à un style bien spécifique. Quant aux nouvelles générations de spectateurs, pour qu’elles s’y intéressent, il faudrait changer bien des choses dans notre pays, promouvoir encore davantage le chant choral, par exemple. Aimer l’opéra, c’est un parcours initiatique pour lequel il faut avoir les entrées nécessaires.