En décembre 2003, l’Opéra de Lille rouvrait ses portes après cinq années de fermeture, avec une nouvelle directrice. Fidèle au poste près de onze ans après, Caroline Sonrier dresse le bilan et présente sa saison 2014-2015 : inaugurée le 30 septembre, avec Matsukaze de Toshio Hosokawa, elle se poursuivra, le 17 octobre, avec Castor et Pollux de Rameau.
Dans quelles circonstances avez-vous été amenée à poser votre candidature à la direction de l’Opéra de Lille ?
Depuis plusieurs années, j’étais à la tête d’Île-de-France Opéra Ballet, et je sentais qu’il était temps de passer à autre chose. Mon idée était de m’occuper d’un lieu de représentations fixe, et non dispersé, et de voir comment le public d’un tel lieu pouvait accompagner un projet artistique. Mon souhait était aussi, à travers ce projet, de redonner à l’Opéra de Lille son rôle de producteur lyrique.
Quelle était la situation à votre arrivée, en 2001 ?
Elle était compliquée ! En 1978 avait été créée l’Association de l’Opéra du Nord, devenue en 1981 Syndicat intercommunal, réunissant l’Opéra de Lille, le Ballet du Nord, à Roubaix, et l’Atelier Lyrique de Tourcoing. En 1984, ce regroupement a pris fin, handicapé par un gros déficit. L’Opéra de Lille était en régie municipale ; en 1986, le maire, Pierre Mauroy, a décidé de le fermer, mais le bâtiment restait à la disposition des structures qui souhaitaient l’utiliser… Ricardo Szwarcer y a ainsi programmé quelques opéras, financés avec les moyens du bord et l’aide de partenaires privés. En 1998, une commission de sécurité a brutalement stoppé toute activité dans la maison, du jour au lendemain, pour que l’on y effectue des travaux de rénovation.
Le grand changement a eu lieu après les élections municipales de 2001.
Effectivement. Martine Aubry, la nouvelle élue, avait conscience de l’atout que pouvait représenter l’Opéra dans une telle métropole, d’autant que Lille allait être « Capitale européenne de la culture », trois ans plus tard. Les travaux terminés, après la restauration de la salle à l’identique, mais également l’aménagement de studios de répétition sous le toit, il allait devenir un véritable outil de travail.
Vous a-t-on imposé un cahier des charges ?
Non, si ce n’est une orientation artistique tournée vers le public le plus large et le plus diversifié, y compris en termes de création. Je me suis trouvée devant une page blanche ; je n’avais pas beaucoup de collaborateurs, un budget modeste, rien n’était acquis, mais je sentais qu’on me faisait pleinement confiance. Je travaillais avec les services municipaux, et je maintenais un lien très étroit avec l’équipe de « Lille 2004 » qui, elle, s’occupait surtout d’arts plastiques. Nous avions en tête une transformation profonde de la ville pendant un an, et pas du tout un festival. À vrai dire, hormis Martine Aubry, évidemment, Catherine Cullen, l’adjointe à la Culture, et l’équipe de « Lille 2004 », personne n’y croyait ; les gens avaient été traumatisés par les deux fermetures successives, et l’Opéra avait, de surcroît, la réputation d’être réservé à l’élite. Nous avons prouvé le contraire, et nous continuons, avec un budget qui est aujourd’hui de 11 millions d’euros, tout compris, dont 80 % viennent de fonds publics.
En décembre 2003, l’Opéra a enfin rouvert.
Et, je dois le dire, avec un succès immédiat. Tout d’un coup, le regard des Lillois a changé : l’Opéra se trouve en plein cœur de la ville, c’est un superbe bâtiment de style néoclassique, et la population y est très attachée.
Et comment les spectateurs ont-ils réagi ?
Nous avons réussi, dès le départ, à capter un nouveau public. Les anciens abonnés qui, depuis la fermeture, avaient pris l’habitude de se rendre à Paris ou à Bruxelles, n’ont pas eu tout de suite envie de revenir ; l’image que nous leur donnions était sans doute trop contemporaine à leurs yeux… Mais les jeunes étaient là, heureux de découvrir des chefs-d’œuvre comme Don Giovanni ou Madama Butterfly, dont ils ne savaient rien.
Quel est votre plus beau souvenir ?
C’est un peu comme demander à une mère lequel de ses enfants elle préfère ! Sans doute la résurrection d’Il viaggio a Reims, en 1984, qui a coïncidé avec l’envol international du Festival. Je me souviens de mon émotion en voyant, l’année suivante, la retransmission télévisée du concert « Rossini à Versailles », dans lequel Ruggero Raimondi interprétait l’air de Don Profondo, « Medaglie incomparabili ». Là, j’ai vraiment compris qu’il s’était passé quelque chose…
Aujourd’hui, les spectacles se répartissent entre deux lieux : l’Adriatic Arena et le Teatro Rossini. Sauf que l’un est trop grand, trop loin, et doté d’une acoustique peu satisfaisante, et l’autre trop petit… La municipalité envisage-t-elle de doter le Festival d’un théâtre moderne de capacité suffisante ?
Le projet d’un lieu polyvalent existe. Mais l’époque, malheureusement, n’est pas trop propice aux investissements : Scavolini, notre principal sponsor, a lui-même des problèmes… Difficile, donc, de trouver des financements, alors qu’une étude de l’Université d’Urbino a montré que, pour un euro investi dans le Festival, la Ville en récupérait sept !
Avez-vous une idée des titres que vous programmerez dans les années à venir ?
En 2015, nous referons La donna del lago avec, nous l’espérons, Juan Diego Florez, et nous proposerons une nouvelle production de La gazzetta, enrichie du quintette récemment retrouvé à la Bibliothèque de Palerme ; la mise en scène en sera confiée à Elio De Capitani. Pour 2016, nous pensons à Ricciardo e Zoraide, mais ce n’est encore qu’une option…