Le 11 septembre, avec la création de la version symphonique du film de Jacques Demy, Les Parapluies de Cherbourg, dirigée par Michel Legrand et mise en espace par Vincent Vittoz,s’ouvre une programmation très « cinématographique ».

98_rencontre_-_Jean-Luc_ChoplinLa nouvelle saison du Châtelet accorde toujours une place d’honneur à la comédie musicale, mais flirte aussi avec le 7e Art. Pourquoi ce choix ?
Mon passage à Los Angeles et chez Disney m’avait déjà donné le goût du monde du cinéma, et j’ai toujours aimé l’idée d’établir des ponts entre les disciplines artistiques. Depuis le XXe siècle, le cinéma est « le » grand art populaire, c’est le meilleur moyen pour un très large public d’assister à un spectacle vivant. Je m’en étais déjà approché avec des ouvrages comme The Fly (La Mouche), dont le Châtelet a présenté la création mondiale, en 2008 – l’occasion pour le cinéaste David Cronenberg de signer sa première mise en scène lyrique. Howard Shore, l’auteur de la musique, a écrit de nombreuses partitions de films, pour Cronenberg, Sidney Lumet ou Martin Scorsese ; il a même remporté deux Oscars pour la trilogie The Lord of the Rings (Le Seigneur des anneaux) de Peter Jackson. Dans le même esprit, en 2011, nous avions programmé la première française d’Il postino (Le Facteur) de Daniel Catan, inspiré par le film de Michael Radford. Sans parler des comédies musicales qui ont donné lieu à adaptations filmées, que ce soit Carousel, My Fair Lady ou Sweeney Todd. Cette saison, nous faisons l’inverse, avec des films qui passent de l’écran au théâtre.

Vous commencez avec un titre français fameux, Les Parapluies de Cherbourg.
Michel Legrand a réalisé l’orchestration de sa partition pour une grande formation : l’Orchestre National d’Île-de-France, au complet, sera dans la fosse ; nous assurerons donc la création mondiale de cette version symphonique. Les liens de Legrand avec le cinéma sont évidents : ses Parapluies de Cherbourg, en leur temps, avaient été cités pour les Oscars, et ses musiques pour The Thomas Crown Affair (L’Affaire Thomas Crown), Summer of 42 (Un été 42) et Yentl, en ont toutes reçu un.

Pourquoi le spectacle n’est-il pas mis en scène ?
Parce que, selon moi, l’ouvrage tel qu’il est ne rassemble pas tous les éléments qu’exigerait une mise en scène. Dans notre projet, la musique est vraiment placée au premier plan, et c’est tant mieux, puisqu’elle saisit l’auditeur au niveau des sentiments. Jean-Jacques Sempé a conçu quelques éléments de décor ; c’est la première fois qu’il participe à une aventure de ce genre. Lors de nos réunions dans mon bureau, il avait son papier à dessin près de lui, il était prêt à saisir son crayon à la moindre indication. Je pense que l’univers des Parapluies de Cherbourg lui convient bien, son monde est comme celui de Jacques Demy, fait d’illusions et de désillusions. Vincent Vittoz va se charger de mettre tout cela en espace. Nous avons réuni une distribution prestigieuse : Natalie Dessay, Laurent Naouri, Vincent Niclo en Guy, et, pour Geneviève, une très jeune chanteuse, Marie Oppert, qui a la fragilité du rôle.

Vous proposez aussi une nouvelle adaptation de Singin’ in the Rain (Chantons sous la pluie) ; d’autres existaient déjà.
Oui, mais le Châtelet est d’abord un théâtre de production ; Arnaud Montebourg serait content, puisque nous faisons du « made in France » ! Je décide des œuvres, puis, avec mes collaborateurs, nous constituons une équipe artistique, nous mettons sur pied une distribution, les décors et les costumes sont fabriqués dans nos ateliers. Il nous arrive de coproduire, mais Singin’ in the Rain est une production maison entièrement nouvelle, la « version Châtelet », que j’ai confiée à Robert Carsen.

Votre projet le plus ambitieux toutefois est peut-être An American in Paris (Un Américain à Paris), puisque le chef-d’œuvre de Vincente Minnelli n’avait jamais été porté à la scène.
J’y tenais vraiment, ne serait-ce qu’à cause des fabuleuses mélodies de George Gershwin. Le film avait été conçu autour de Gene Kelly et Leslie Caron. Je me suis dit que je pourrais imaginer un spectacle qui aurait pu inspirer le film, avec une histoire un peu plus complexe, plus romantique. J’ai rencontré les héritiers de Gershwin, qui m’ont dit que des producteurs américains avaient eu la même idée. Nous nous sommes contactés, et nous avons convenu que si nous nous mettions d’accord sur une équipe artistique – le chorégraphe, avant tout –, nous travaillerions ensemble. Le nom de Christopher Wheeldon s’est imposé sans problème, et le projet s’est mis en route. Je voulais absolument que la première ait lieu à Paris, ce sera le cas cet automne, et la reprise se fera à Broadway, au printemps. Nous allons, en quelque sorte, « créer un classique », et rendre un grand hommage à Gershwin.

Est-ce un gros risque pour vous ?
Je coproduis avec mes partenaires américains, donc je ne prends pas la totalité des risques. Même si nous avons prévu quarante représentations parisiennes, ce qui est beaucoup, je n’entraîne pas le théâtre dans une aventure inconsidérée. Et en plus, si ça marche bien, si le spectacle tient longtemps à Broadway, s’il peut y avoir une tournée à travers les États-Unis, des représentations à Londres et ailleurs, le Châtelet touchera même des royalties. Imaginez que cet American in Paris remporte le même succès que Les Misérables !

J’espère que vous n’en avez pas terminé, pour autant, avec Stephen Sondheim et Richard Rodgers !
Pas du tout. J’ai déjà présenté quatre ouvrages de Sondheim et je suis toujours en discussion avec lui, nous réfléchissons encore. J’ai pensé également à South Pacific ou Oklahoma ! de Rodgers & Hammerstein, à Annie Get Your Gun d’Irving Berlin, dont la version française (Annie du Far West) avait été donnée dans cette salle… Je ne manque pas de possibilités, mais il faut une œuvre dont la portée soit universelle. Pour l’instant, je crée un répertoire qui me permette aussi de faire des reprises, comme cela a été le cas pour The Sound of Music (La Mélodie du bonheur) et My Fair Lady ; c’est bien qu’un investissement puisse être amorti. De plus, cela fait connaître l’ouvrage à une nouvelle génération de spectateurs.

Restera-t-il des traces de ces soirées ?
Nous attendons toutes les autorisations pour sortir la vidéo de Sunday in the Park with George. Pour les autres, malheureusement, nous ne pouvons rien faire, les droits sont détenus par les studios qui ne souhaitent pas que leurs films aient des concurrents. Cela dit, rien n’est impossible ; Einstein on the Beach n’avait jamais été filmé, mais lors des représentations de janvier dernier, Robert Wilson et Philip Glass m’ont donné le feu vert !

Cette saison, vous ne présentez qu’un seul opéra « classique », Il re pastore de Mozart.
C’est un divertissement charmant, mais très rarement monté. Je n’avais pas envie d’un ouvrage que l’on voit partout. Et je souhaitais confier à nouveau un spectacle à Nicolas Buffe, qui avait enchanté le public avec sa vision d’Orlando paladino de Haydn, en 2012. Nicolas est un plasticien de grand talent, nourri d’une double culture à la fois sophistiquée et populaire, entre autres celle des mangas, un univers dont les jeunes sont familiers et qui peut très bien s’accorder avec celui de Mozart.

Vous revenez aussi vers Offenbach, avec La Belle Hélène.
La dernière Belle Hélène présentée au Châtelet date de quatorze ans. Il était temps que je m’attaque à Offenbach, et après tout ce temps, je ne risquais pas de comparaison. Le public est toujours heureux de l’entendre, et j’ai fait appel au duo Pierrick Sorin/Giorgio Barberio Corsetti, qui avait si bien réussi La pietra del paragone de Rossini.

Une seule production est un accueil : Le Petit Prince de Michaël Levinas, d’après Saint-Exupéry.
J’emploierai à nouveau les mots de populaire et sophistiqué, pour définir l’univers du Petit Prince. C’est un livre que j’aime énormément, et lorsque la proposition est venue de programmer cette coproduction entre Lausanne, Lille, Genève et Liège, je n’ai pas hésité. C’était aussi une occasion d’accueillir un opéra de Michaël Levinas et de donner une place à la musique de notre temps, comme nous l’avions fait avec Pastorale de Gérard Pesson, et Faustus, The Last Night de Pascal Dusapin.

Pas de récital vocal, cette saison.
Non, nous marquons une pause pour l’instant. Le récital est fait pour des petites salles, il a besoin d’intimité ; au Châtelet, nous avons deux mille places à remplir, ce qui n’est pas rien, surtout en temps de crise, où l’on sent que même le public aisé fait attention.

Depuis votre premier spectacle, Le Chanteur de Mexico, en 2006, comment votre public a-t-il évolué ?
Il s’est considérablement élargi ; je dirais qu’il s’est multiplié par 4 ou 5. Lorsque j’ai programmé Le Chanteur de Mexico, c’était pour me réconcilier avec la mémoire de ce théâtre, et déjà envoyer un message, faire comprendre que le Châtelet allait développer une nouvelle image.

Comment la définiriez-vous ?
Je rêvais que ce théâtre redevienne un lieu dédié à la féerie, en proposant des spectacles accessibles à tous et réunissant des interprètes exceptionnels, et qu’il ne soit plus le concurrent direct de l’Opéra de Paris. Je souhaitais aussi construire une équipe qui soit capable de faire ses propres productions. Contrairement à l’opérette française, la comédie musicale a réussi à avoir une portée universelle, ce qui a guidé mes choix. Cela ne m’a jamais empêché de tenter des expériences plus difficiles, comme la création scénique du Verfügbar aux Enfers de Germaine Tillion, en 2007. Mon but, c’était d’abolir les frontières, de ne pas céder à l’élitisme, à l’enfermement. Donner du bonheur à une époque où l’on a tendance à voir tout en noir, ce n’était pas gagné d’avance…

 

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