Une nouvelle ère s’est ouverte au Teatro Real. Après la nomination d’Ignacio Garcia-Belenguer Laita à la direction générale, en 2012, Joan Matabosch a succédé à Gerard Mortier à la direction artistique, à la rentrée 2013. Alors que le détail de la saison 2014-2015 vient d’être annoncé, les deux directeurs s’expriment sur le futur de l’institution.
Qu’est-ce qui vous a mené à la direction générale du Teatro Real ?
Je suis issu de l’INAP, l’équivalent espagnol de l’ENA. À Madrid, j’ai occupé, pendant huit ans, les fonctions de délégué culturel au Palacio Real, grâce auxquelles j’ai pu établir des connexions avec le Teatro Real, avant de passer cinq années à l’AEPD, qui correspond à la CNIL en France. Puis j’ai reçu plusieurs propositions de postes dans l’administration publique, que j’ai déclinées. En revanche, j’ai accepté la direction générale du Teatro Real, dont j’ai longtemps été un abonné.
Quel est l’organigramme de la direction du Teatro Real ?
Le président, Gregorio Marañon, a été nommé par un conseil d’administration composé de représentants du ministère de l’Éducation, de la Culture et des Sports, de la Communauté de Madrid et de la Ville, mais aussi de compagnies privées, au nombre desquelles Telefonica, Banco Santander, BBVA, ou encore Endesa. Jusqu’en 2007, le président du Teatro Real était le ministre de la Culture, mais le conseil d’administration a pris la décision de le nommer lui-même pour assurer l’indépendance de l’institution, et éviter les changements en cas d’alternance politique. Le conseil désigne également le directeur général, pour une durée de cinq ans renouvelable, et ce dernier nomme le directeur artistique.
Par la suite, vous avez signé des chorégraphies pour des mises en scène de Luc Bondy…
La première fois, c’était pour Salome, avec Catherine Malfitano dans le rôle-titre. J’y ai pris beaucoup de plaisir. D’autant que les mouvements de la « Danse des sept voiles » étaient éparpillés dans l’opéra comme des motifs.
Vous avez pris vos fonctions en avril 2012, en pleine crise économique, pour ainsi dire au pire moment…
Peut-être pas le pire, mais en tout cas un moment difficile, tant pour le pays et le gouvernement que pour le Teatro Real. Sans doute la situation n’était-elle pas dramatique, mais un peu compliquée. Ma principale mission était de mettre en œuvre des mesures économiques, afin que nous soyons épargnés par la crise. Il fallait donc, d’une part, réduire les dépenses dans le budget courant, et d’autre part, augmenter les revenus du théâtre, pour parvenir à l’équilibre – ce qui exige de l’inventivité. Par exemple, lorsque je suis arrivé, il n’existait qu’un seul type de parcours touristique du bâtiment. À présent, nous en proposons quatre : général, artistique, technique, et nocturne. Nous avons ainsi augmenté de 300 % le nombre des visiteurs ! Cela fait partie de ces petites mesures que l’on peut mettre en place très facilement pour gagner de l’argent. Nous avons également travaillé sur le mécénat, non seulement auprès des entreprises, mais aussi des particuliers. Enfin, nous avons récemment créé, avec dix ambassadeurs étrangers (Belgique, Japon, Russie, Arabie saoudite, France, Canada, Italie, Portugal, Colombie et Mexique), le Circulo Diplomatico, dans le but de recevoir le soutien des compagnies de ces différents pays, tout en mettant à contribution les artistes qui en sont originaires, par exemple en organisant des concerts dans les ambassades.
Comment persuade-t-on des particuliers de devenir mécènes, ou d’augmenter leur contribution, en temps de crise ?
Notre objectif est d’inciter le secteur privé à se sentir responsable de la politique culturelle en Espagne, en expliquant qu’au vu de la situation économique, une large part de cet espace ne sera bientôt plus occupée par l’administration publique. Dès lors qu’un projet est qualitatif, entreprises et particuliers, toujours en quête d’excellence, saisissent l’opportunité de s’impliquer.
Quelle est la part d’argent public et privé dans le budget du Teatro Real ?
Nous fonctionnons désormais sur un modèle 30-30-30 : 30 % de subventions, 30 % de mécénat, et 30 % de recettes de billetterie. Les 10 % restants résultent de la « marque » Teatro Real, et comprennent les revenus du restaurant, de la vente des DVD, etc. C’est une équation différente, tant du modèle américain, où 80 % du budget provient du secteur privé, que du modèle européen, où 60 à 90 % du financement est issu des fonds publics – ce qui était d’ailleurs le cas du Teatro Real, dont la part de subventions était, avant la crise, de 60 %. Sur un budget total de 42 millions d’euros, 12 à 13 millions sont dévolus aux dépenses artistiques.
Justement, quels sont vos rapports avec la direction artistique ?
J’ai entretenu d’excellentes relations avec Gerard Mortier, et il en va de même aujourd’hui avec Joan Matabosch. Il faut prendre en considération qu’en tant que directeur général, je suis le supérieur hiérarchique du directeur artistique. De ce fait, il conserve son autonomie dès lors qu’il me persuade du bien-fondé de ses décisions… En gros, il est libre de dépenser de l’argent, à condition que sa programmation en rapporte ! À cet égard, nous discutons de ce que nous pouvons faire, ou ne pas faire, et j’essaie de le convaincre que nous sommes dans le même bateau. Car les représentations du Teatro Real doivent combiner la plus haute qualité imaginable à la capacité de générer des gains. Dans le cas d’une institution comme la nôtre, dont le financement est mixte, nous pouvons être amenés à faire des choix qui, s’ils ne rapportent pas forcément beaucoup d’argent, contribuent au rayonnement d’une politique culturelle ; bien sûr, ils doivent aussitôt être contrebalancés par des productions plus compétitives. Il faut donc trouver un équilibre entre classicisme et modernité. Pas systématiquement dans une proportion de 50-50, mais peut-être 30-70, et l’inverse, l’année suivante.