À partir du 12 mai, la Salle Favart affiche Ali-Baba, « opéra-comique » en trois actes.

Cette nouvelle coproduction avec l’Opéra de Rouen Haute-Normandie et le Palazzetto Bru Zane-Centre de musique romantique française sera l’occasion, pour le public parisien, de renouer le lien avec un musicien jadis porté aux nues et aujourd’hui négligé, voire méprisé. Puisse Ali-Baba ouvrir la voie à la redécouverte d’autres ouvrages de Lecocq, Le Petit Duc en particulier, qu’on rêve de voir à l’Opéra-Comique !

95_evenement_-_Ali-Baba_-_LecocqCharles Lecocq (1832-1918) fait partie de ces heureux élus qui, bien que s’étant toute leur vie consacrés à l’art le plus léger qui soit, ont eu les honneurs d’une scène officielle. Sa turbulente, mais ô combien populaire, Fille de Madame Angot entra solennellement à l’Opéra-Comique, le 28 décembre 1918, moins de deux mois après la fin de la « Grande Guerre », à l’occasion d’une soirée donnée au bénéfice des enfants ­alsaciens-lorrains. L’auteur, malheureusement, ne put jouir de l’événement : il s’était éteint le 24 octobre précédent, à l’âge de 86 ans. Aujourd’hui, alors que la grande opérette ­française classique se fait de plus en plus rare sur les scènes lyriques, le nom de ce maître du genre est quasiment inconnu du public. Ce musicien élégant et charmant remporta pourtant bien des succès. Et si sa musique est gaie, enjouée, pimpante, sa vie fut difficile.
Lecocq naît le 3 juin 1832, fils d’une famille parisienne modeste de la Montagne-Sainte-Geneviève. Une méchante coxalgie le frappe dès sa prime enfance et, toute sa vie, il restera handicapé, obligé d’utiliser des béquilles. Malgré leur pauvreté, ses parents lui font étudier la musique ; il joue du flageolet, du piano. Il travaille l’harmonie avec Eugène Crèvecœur – lorsqu’il apprendra la mort de son maître, il écrira à son ami Emmanuel Chabrier, le 9 décembre 1891, que ce modeste enseignant « n’en était pas moins Prix de Rome et un excellent professeur, qui m’a initié le premier aux mystères de l’harmonie et du contrepoint sans compter la fugue. Il m’a plus appris à lui seul que tout le Conservatoire, que je n’ai fréquenté que lorsque j’étais déjà instruit et propre à être couronné, et ce n’est pas d’hier ».

RIVAL D’HERVÉ ET D’OFFENBACH
Au Conservatoire, où il est admis en 1849, Lecocq fréquente la classe d’harmonie de François Bazin, et celle de composition sur laquelle règne Fromental Halévy. Pour subsister et aider sa famille, il joue dans des bals et donne des leçons de piano. 1856 est pour lui une période faste. Dans son théâtre des Bouffes-Parisiens, situé sur les Champs-Élysées, Jacques Offenbach a organisé un concours d’ouvrages légers en un acte. Le sujet obligé, Le Docteur Miracle, vaut à Lecocq un premier prix ex æquo qu’il partage avec son cadet, Georges Bizet. Le succès, pourtant, ne viendra qu’avec Fleur-de-Thé, que présente l’Athénée en 1868. La fin de la décennie 1860, à Paris, est douloureuse. La guerre entre la France et la Prusse, la Commune : autant d’événements qui freinent la carrière des artistes. La gloire, Lecocq la trouve en Belgique. Les Cent Vierges reçoivent un accueil chaleureux à Bruxelles, en 1872 ; et, le 4 décembre de la même année, aux Folies-Parisiennes de la capitale belge, La Fille de Madame Angot fait une entrée triomphale, avant d’aller conquérir Paris, dès février 1873.
Voilà que Lecocq devient le rival d’Hervé, le « compositeur toqué », et même ­d’Offenbach. Giroflé-Girofla, La Petite Mariée, l’adorable Petit Duc, Le Jour et la Nuit, Le Cœur et la Main jalonnent une carrière qui connaît des bonheurs divers et qui s’essouffle avant la fin du siècle. Le 9 décembre 1891, le musicien écrit à Chabrier : « J’ai deux ouvrages terminés mais non orchestrés, destinés à un théâtre idéal, c.a.d. un Opéra-Comique où l’on puisse se faire jouer. Pour ce qui est de l’opérette, zut, j’en ai assez. J’ai eu autrefois la place trop belle pour aller maintenant faire le coup de poing à la porte des directeurs, qui, au reste, commencent à m’oublier. Et puis ça ne m’amuse plus guère, et ma propre musique m’intéresse moins que celle des autres, ce qui est un grave défaut pour un compositeur. »
Peut-être que celui qui ne cachait pas son admiration pour Grétry et Méhul, qui aimait son ami Chabrier au point de tout faire pour aider à ce que son opéra Gwendoline soit représenté, pressentait-il qu’un tournant allait survenir dans le goût musical, et qu’il ne trouverait plus sa place dans ce nouveau monde, illustré, entre autres, par Le Rêve du jeune Alfred Bruneau. « Allons, l’horizon de l’art s’élargit. Mais il s’obscurcit en même temps, et quand je compare cette ombre au rayonnement passé des Rossini, Meyerbeer, et même du père Gounod, je regrette d’avoir vécu si longtemps. Ceux-là me suffisaient. Décidément, je ne suis qu’une vieille baderne et je retarde d’au moins ¼ de siècle. » (À Chabrier, 14 juin 1891).

ALI-BABA
Ali-Baba est créé à l’Alhambra de Bruxelles, le 11 novembre 1887. Deux ans plus tard, le 28 novembre 1889, la première parisienne a pour cadre l’Éden-Théâtre. Le Dictionnaire des Opéras de Félix Clément et Pierre Larousse en parle ainsi : « Il va de soi que le sujet de cette pièce ­féerique, qui appelait si naturellement le concours de la musique, était tiré des Mille et Une Nuits et du joli conte d’Ali-Baba et les Quarante Voleurs. Les librettistes ne s’étaient pas mis en grands frais d’imagination, suivant pour ainsi dire pas à pas le récit qu’ils s’étaient chargés de traduire scéniquement, et ne s’inquiétant guère d’apporter leur part d’esprit et d’invention. Mais la musique était charmante, pleine de piquant, de grâce et d’agrément. La partition est l’une des meilleures qui soient tombées de la plume de M. Lecocq… Le tout avec l’habileté technique et l’invention de forme qui caractérisent son talent. » Florent Bruyas, lui, dans son Histoire de l’opérette en France, est plus sévère : « C’est une opérette qui n’ajoute rien à la gloire de Lecocq mais le réhabilite, en quelque sorte, après ses derniers insuccès. La partition, copieuse, contient de bonnes pages dans la manière aisée et correcte du compositeur. »
Larousse et Clément vont un peu vite en besogne. Le livret d’Albert Vanloo et William Busnach, non seulement s’éloigne à plus d’une reprise du conte, mais la féerie exotique perd son pittoresque pour gagner en vraisemblance et se conformer à une morale gentiment bourgeoise. Dans le conte, Ali est marié et père de famille, et c’est son fils qui, à la fin, épouse la jolie Morgiane ; l’opéra le transforme en jeune célibataire. Cassim, selon Vanloo et Busnach, n’est plus son frère aîné mais un cousin éloigné. La différence la plus spectaculaire, toutefois, reste la disparition totale du sadisme qui, à deux reprises, laisse planer sur la légende l’ombre d’un cauchemar : plus question, dans un spectacle « pour familles », que Cassim soit trucidé et son corps coupé en morceaux par les brigands, ni que les voleurs cachés dans leurs jarres soient noyés dans de l’huile bouillante ! Notons aussi l’apparition d’un personnage inventé par les librettistes, Zizi, sur lequel on ne sait pas tout, si ce n’est qu’ancien employé de Cassim, il a rejoint la troupe des scélérats.

 

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