Coproduction entre l’Opéra et le Théâtre National de Nice, Dreyfus, livret de Didier van Cauwelaert et musique de Michel Legrand, sera créé le 16 mai. L’illustre compositeur de films et de chansons lève le voile sur cette nouvelle aventure.
La musique vous a investi dès votre plus jeune âge et, depuis vos années passées au CNSMD de Paris, en particulier dans la classe de Nadia Boulanger, vous avez parcouru un chemin exceptionnel, parsemé de récompenses qui vous ont valu une renommée à l’échelle planétaire. Arrangeur, adaptateur, jazzman, pianiste soliste ou accompagnateur, compositeur de chansons, de ballets et, surtout, de musiques de films, votre nom est associé aux grandes figures du cinéma international. Après Le Passe-Muraille, comédie musicale d’après la nouvelle de Marcel Aymé (Nantes, 1996), dans quel esprit abordez-vous la création de Dreyfus ?
L’idée d’un spectacle musical sur Alfred Dreyfus (1859-1935) est venue de Jean-Louis Grinda, actuel directeur général de l’Opéra de Monte-Carlo, à l’époque où il était à la tête de l’Opéra Royal de Wallonie, à Liège. Je me suis mis au travail avec enthousiasme, en collaboration avec l’écrivain Didier van Cauwelaert, mais il a fallu attendre plusieurs années avant qu’une opportunité de le programmer se présente.
Quel point de vue avez-vous adopté, en collaboration avec votre librettiste, pour présenter, dans un cadre opératique, l’affaire Dreyfus, ce conflit majeur de la Troisième République qui a déchiré la société française et marqué durablement les esprits ?
Nous avons respecté le déroulement historique des faits, en partant de l’accusation de trahison adressée, sur fond d’antisémitisme, au capitaine Dreyfus, Français d’origine alsacienne et de confession juive, qui aurait livré des documents secrets aux Allemands. Condamné à la dégradation militaire et déporté en Guyane, Dreyfus sera par la suite innocenté et réhabilité. Notre œuvre se place sous le signe d’Émile Zola, dont la présence emblématique, au début et à la fin, souligne notre propre engagement pour les valeurs antimilitaristes et les droits de l’homme. J’accuse, la fameuse lettre ouverte au président de la République que Zola publie dans L’Aurore, le 13 janvier 1898, dénonce, avec un grand courage politique, le procès truqué. Ce réquisitoire pour que la vérité soit faite, et la justice rétablie, vaudra à son auteur procès et exil. L’angle que nous avons privilégié consiste à faire du commandant Esterhazy – le vrai coupable – le héros négatif de l’opéra, manipulé par des généraux pervers et le ministre de la Guerre. Ce voyou sans scrupule, patron de bordel, traître provocateur et cynique, « une ordure de grande envergure, une vraie pourriture », comme il se définissait lui-même, permet par contraste de mettre en relief les souffrances endurées par le capitaine Dreyfus, victime innocente d’un complot militaire, refusant de se défendre par patriotisme, pour épargner l’Armée française. Durant sa captivité, seul l’amour de sa femme Lucie, perceptible à travers leur correspondance, l’aidera à tenir.
Concrètement, comment avez-vous travaillé avec Didier van Cauwelaert ?
Selon une méthode qui avait bien fonctionné, au moment du Passe-Muraille. J’écris une musique, sur laquelle Didier ajuste ses mots, pour en épouser l’expressivité mélodique et en refléter les nuances. Texte et notes s’articulent selon une succession de scènes rapides, comme surgies à travers le filtre de la mémoire de Zola et reconstituées à la manière de la mémoire proustienne. Marcel Proust est, d’ailleurs, un des personnages de l’opéra !
Comment décririez-vous la musique de Dreyfus ?
J’ai souhaité composer un opéra populaire, sentimental, dont le style tonal parlerait immédiatement au cœur du spectateur. J’aime quand une ligne mélodique suscite des émotions, dès la première écoute. Le chant est, bien sûr, le vecteur de ce spectacle, incarné dans les duos entre Dreyfus et sa femme, les trios des généraux comploteurs, les airs d’Esterhazy, et les interventions du chœur, représentant la foule hystérique, haineuse et antisémite, toujours en quête de boucs émissaires. Les différents rôles sont confiés à la fois à des comédiens qui chantent et à des chanteurs d’opéra. L’objectif de ce drame en musique est, avant tout, de toucher la sensibilité autant que la conscience du public.