Jusqu’au 23 décembre, la soprano géorgienne est l’une des têtes d’affiche de la reprise de La clemenza di Tito au Palais Garnier. On la retrouvera au Capitole de Toulouse, à partir du 14 mars, en Nedda dans Pagliacci.
Pour vous, le chant est une histoire de famille…
J’ai toujours entendu chanter. Mon père, Avtandil Javakishvili, était un baryton très célèbre en Géorgie. Sa collection de disques – essentiellement des voix d’hommes – était immense. Toute petite, j’ai été bercée par Caruso, Gigli, Gobbi… Aujourd’hui encore, il ne me faut pas plus de deux notes pour les reconnaître ! J’adorais écouter mon père et ses collègues ou élèves discuter technique… Et, bien sûr, je les imitais, interprétant d’instinct des chansons napolitaines comme O sole mio devant famille et voisins, mon premier public ! Un jour, mon père m’a fait écouter « Casta diva » par Joan Sutherland. J’ ai été bouleversée, autant par cette voix que par l’air : il fallait que je le chante ! Mon père m’a assuré que j’en aurais la possibilité après trois mois de travail avec lui. Impatiente, je me suis lancée. Passé le délai fatidique, pleine d’espoir, j’ai voulu m’y mesurer. Catastrophe : impossible d’arriver à la fin du premier mot ! Mon père m’a expliqué que c’était normal et qu’il me faudrait dix ou quinze années, peut-être, pour y parvenir. Ce qu’il avait testé, c’était l’intensité de mon désir de chanter… À 13-14 ans, j’ai donc commencé à étudier sous sa direction. Période bénie, hélas trop courte, puisqu’il est mort d’une crise cardiaque quand j’avais 19 ans. Notre relation était si fusionnelle que j’ai voulu tout arrêter. Ce sont ses collègues qui m’ont persuadée de continuer. Des années plus tard, la première fois où j’ai interprété « Casta diva » en concert, j’ai pensé très fort à lui. Aujourd’hui encore, pour une échéance particulièrement importante, je vais me recueillir sur sa tombe et je lui parle…
Mozart et Verdi semblent être les deux pôles de votre répertoire.
Ce sont, et de loin, les compositeurs que j’ai le plus interprétés en scène, et ce dès mes débuts, en Desdemona et Donna Anna. Au Met, par exemple, depuis 2005 et Don Giovanni, je n’ai chanté que du Mozart ! Et, plus j’aborde des rôles lourds, comme Lucrezia Contarini d’I due Foscari à Las Palmas, Leonora d’Il trovatore à Tokyo ou Luisa Miller à la Scala, plus j’éprouve le besoin de revenir à lui de manière régulière.
Raison pour laquelle, sans doute, vous retrouvez Vitellia à l’Opéra National de Paris, après Amelia Grimaldi dans Simon Boccanegra à Vienne…
Vitellia est l’un de mes rôles préférés. Dotée de multiples facettes, elle est aussi, dans La clemenza di Tito, le véritable moteur de l’action. Vocalement, la tâche est difficile : le premier air, « Deh, se piacer mi vuoi », réclame virtuosité et légèreté ; le trio du I est très dramatique, et tendu (jusqu’au contre-ré !) ; le célèbre « Non più di fiori », au contraire, très grave, exige une tessiture et une couleur de mezzo.
Comment envisagez-vous l’évolution de votre voix et de votre répertoire ?
En plus de Mozart et Verdi, je chante aujourd’hui Leoncavallo (Nedda) et Puccini (Liù, Mimi, Suor Angelica). Je souhaite conserver Donna Anna, Fiordiligi, Elettra et Vitellia à mon répertoire, en y ajoutant, si possible, la Comtesse Almaviva. J’aborderai Tosca à Melbourne, en 2014 ; j’espère pouvoir le faire avec mes moyens, sans devoir crier au-dessus de l’orchestre. C’est un personnage fort, comme je les aime. On m’a récemment proposé Butterfly et… Norma. Cela n’a pas pu se faire pour des raisons de calendrier, mais je ne ferme pas la porte… Dans le bel canto, je songe à Maria Stuarda, Lucrezia Borgia et Anna Bolena. J’aimerais bien que l’on me propose du Richard Strauss : Arabella, Capriccio, Der Rosenkavalier… Et pourquoi pas La Vestale et Médée ? Dans tous les cas, mon rêve le plus cher serait que, dans l’avenir, on associe un rôle à mon nom, comme Alfredo Kraus avec Werther.
Vous avez parlé des chanteurs du passé ayant bercé votre enfance. Côté cantatrices, quelles sont vos favorites ?
Je pourrais écouter toute la journée les voix sublimes de Renata Tebaldi, Montserrat Caballé ou Leontyne Price. Mais une dimension théâtrale me manquera toujours chez elles. Je préfère des artistes comme Maria Callas, Renata Scotto et Leyla Gencer, mon trio de tête dans l’opéra italien. Pour Mozart, les deux Elisabeth, Grümmer et Schwarzkopf, me semblent incontournables. Et je laisse une place, entre elles toutes, pour l’inclassable Lotte Lehmann…